jeudi 7 juin 2007

Lyon

Je rentre à l'instant d'un bref séjour à Lyon qui m'a donné l'occasion de vivre plusieurs moments très forts.

Tout d'abord avec A., ma cousine. J'admirais beaucoup le couple qu'elle formait avec P., son mari; l'intelligence, l'écoute, le partage, le respect mutuel, l'humour aussi, tout cela les rendait exemplaires à mes yeux, et il m'est arrivé plus d'une fois de penser à eux quand j'étais confronté à mes propres déboires sentimentaux. P. est mort subitement à l'automne. Je n'avais pas revu A. entre-temps, pas même aux obsèques, auxquelles je n'ai pas pu assister à cause de mon travail. Avant-hier, A. m'a dit, avec un grand sourire: "Au moins j'ai vécu une grande histoire d'amour. Tout le monde ne peut pas en dire autant." Bien sûr, elle regrette infiniment P.; mais elle ne regrette rien de ce qui s'est passé entre eux: pas d'occasion manquée, pas de non-dit persistant, pas de malentendu désormais irrémédiable; pas d'amertume, mais de la gratitude et des souvenirs de bonheur. Et c'est là encore un exemple que je n'oublierai pas. Ce qui compte, ce n'est pas la perte; c'est de savoir accueillir avec joie l'amour qui nous est donné, car ce que l'on accueille ainsi ne s'évanouit jamais plus, quoi qu'il arrive. Je voudrais apprendre à vivre ainsi.

J'ai aussi revu des amis, notamment A., un camarade d'université que j'avais perdu de vue depuis plusieurs années, et que j'ai été amené à croiser de nouveau pour des raisons professionnelles. Il habite à Lyon avec sa femme T., que je n'avais pas revue depuis l'époque où nous étions tous les trois étudiants. Nous avons pris un verre ensemble ce matin dans un café de la place Bellecour, et les questions que T. m'a posées m'ont amené à résumer en quelques mots les quinze dernières années de ma vie, d'où des raccourcis vertigineux. Au jour le jour, des décisions sont prises, des changements de cap s'opèrent, mais le quotidien prend toujours le dessus, et tout, à la longue, finit par paraître normal, y compris ce que l'on aurait trouvé incompréhensible six mois auparavant. Mais, bien sûr, T. n'a rien suivi de tout cela, d'où sa surprise: je ne suis pas du tout celui qu'elle imaginait, compte tenu des derniers souvenirs qu'elle avait conservés de moi! Par contrecoup, j'étais presque étonné moi-même d'avoir suivi un parcours aussi imprévisible... J'ai ressenti une autre forme de vertige en apprenant que A. et T. ont une fille, que je n'ai jamais rencontrée, et qui passait aujourd'hui la première épreuve du bac. Moi qui m'imaginais naïvement que les enfants de mes amis n'avaient pas dépassé le CP! Encore une illusion réconfortante à laquelle il va falloir renoncer...

Mention spéciale pour C., qui m'a montré la maison de Louise Labé. Je suis allé à Lyon dans l'espoir d'y rencontrer un poète; et le poète était au rendez-vous. Ce n'était pas celui auquel je m'attendais, mais quelle importance? On n'oublie pas des vers comme ceux-ci:

Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés,
Ô chauds soupirs, ô larmes épandues,
Ô noires nuits vainement attendues,
Ô jours luisants vainement retournés!

Ô tristes plaints, ô désirs obstinés,
Ô temps perdu, ô peines dépendues,
Ô mille morts en mille rets tendues,
Ô pires maux contre moi destinés!

Ô ris, ô front, cheveux, bras, mains et doigts!
Ô luth plaintif, viole, archet et voix!
Tant de flambeaux pour ardre une femelle!

De toi me plains, que tant de feux portant,
En tant d'endroits d'iceux mon cœur tâtant,
N'en ait sur toi volé quelque étincelle.

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