samedi 26 mai 2007

Bonheur

Je passais avant-hier soir devant les Thermes de Cluny, si joliment éclairés que j'en ai profité pour les photographier avec mon portable. Ils me rappellent beaucoup de beaux souvenirs: une sortie scolaire qui a marqué mon enfance (je devais avoir douze ans, le Moyen-Age me fascinait, l'Antiquité encore plus), mes études à la Sorbonne toute proche, mes soirées entre amis dans le Quartier Latin, et aussi, par association d'idées, mes premières vacances italiennes en 1982, ou encore ma découverte toute récente du vieux Barcelone, cette curieuse ville à deux niveaux où se visitent, par dessous les ruelles et les places d'époque médiévale, les vestiges de la cité romaine. Depuis peu, les Thermes de Cluny me rappellent aussi une promenade avec P., qui m'a offert aujourd'hui une journée de grand, de très grand bonheur.

dimanche 20 mai 2007

Komm, Hoffnung


Un blog, pour quoi faire? Pour parler un peu de soi, bien sûr. Mais encore? Parler de soi, pour dire quoi, et à qui? J'ai toujours eu le sentiment que les autoportraits les plus réussis sont ceux où l'auteur, justement, ne cherche pas à se décrire: on ne se dévoile jamais autant que quand on parle de tout autre chose que soi. Et c'est ainsi, du reste, que l'on peut espérer dire des choses intéressantes: de tous les sujets qui me préoccupent, mon nombril est bien celui qui a le moins de chances de concerner qui que ce soit d'autre. Donc il sera question de tout dans ce blog, sauf de moi, de mon identité, de ma raison sociale, bref de l'individu que je contemple tous les matins dans le miroir de ma salle de bains. En revanche, je parlerai de ce(ux) que j'aime, de ce(ux) qui donnent un sens à ma vie, de ces mille et une choses, grandes ou petites, qui font la saveur de mon existence, et des êtres chers avec qui je les partage. D'autres s'y reconnaîtront peut-être. Tant mieux: si ce qui compte pour moi compte aussi pour eux, si je peux les amuser, les toucher, les émouvoir ou les faire réfléchir, alors je n'aurai pas perdu mon temps, et eux auront appris — un peu — à me connaître.

OperaLover: le titre que j'ai choisi est assez explicite. Et c'est donc par un opéra que je commencerai, Fidelio de Beethoven. Un opéra politique: c'est peut-être la raison pour laquelle j'y pense aussi souvent ces temps-ci.

La scène est en Espagne, c'est-à-dire nulle part. Le pays est en proie à la dictature; une répression féroce s'abat sur tous les opposants. Léonore s'est fait embaucher incognito dans la prison où est enfermé son mari Florestan, dont le seul crime est d'avoir voulu dénoncer les abus commis par le régime. Un jour, elle surprend une conversation où Pizarro, le gouverneur de la prison, ordonne l'exécution de Florestan. Léonore réagit ainsi:

Abscheulicher! Wo eilst du hin?
Was hast du vor?
Was hast du vor in wildem Grimme?
Des Mitleids Ruf, der Menschheit Stimme,
Rührt nichts mehr deinen Tigersinn?
Doch toben auch wie Meereswogen
Dir in der Seele Zorn und Wut,
So leuchtet mir ein Farbenbogen,
Der hell auf dunkeln Wolken ruht:
Der blickt so still, so friedlich nieder,
Der spiegelt alte Zeiten wider,
Und neu besänftigt wallt mein Blut.

Komm, Hoffnung, lass den letzten Stern
Der Müden nicht erbleichen!
O komm,
Erhell mein Ziel, sei's noch so fern,
Die Liebe, sie wird's erreichen.

Ich folg dem innern Triebe,
Ich wanke nicht,
Mich stärkt die Pflicht
Der treuen Gattenliebe!
O du, für den ich alles trug,
Könnt' ich zur Stelle dringen,
Wo Bosheit dich in Fesseln schlug,
Und süssen Trost dir bringen!
Ich folg dem innern Triebe, etc.

(Ah! Monstre abominable! Où vas-tu, si pressé?
Que peux-tu bien préparer?
Que peut bien préparer cette fureur sauvage?
Le cri de la pitié, les sentiments humains
N'auront-ils jamais raison de ta cruauté de tigre?
C'est le mugissement des vagues de la mer
Qui vient emplir ton âme de colère et de rage,
Tandis qu'un arc-en-ciel s'illumine pour moi
Qui pose sa clarté sur les nuages sombres:
L'éclat de son regard est tranquille et serein;
On y voit le reflet de temps déjà anciens,
Et mon sang apaisé s'anime de nouveau.

Oh! espoir, viens à moi, ne laisse pas s'éteindre
Cette dernière étoile, pour moi qui suis si lasse!
Oh! viens,
Eclaire mon chemin! Si loin que soit le but,
L'amour y parviendra.

J'obéis à la voix de mon instinct secret
Sans jamais hésiter.
Ma force, je la dois au devoir que m'inspire
La constance des liens de l'amour conjugal.
O toi qui es celui pour qui j'ai tout souffert!
Puissé-je pénétrer jusque dans cet endroit
Où la méchanceté t'a jeté dans les fers
Afin de t'apporter un tendre réconfort!
J'obéis à la voix, etc.)

La traduction (de l'Avant-Scène Opéra) est un peu maladroite; mais peu importe: cet air me bouleverse. Léonore ignore si Florestan sortira un jour de prison, s'il se souvient encore d'elle, si l'épreuve ne l'a pas brisé au point qu'il est incapable de revenir à une vie normale, et si la mort décrétée par Pizarro n'est pas préférable à une existence qui n'a peut-être plus rien d'humain. Il ne lui reste qu'une chose: elle sait que Florestan est là, qu'il est encore vivant, que seules quelques dizaines de mètres les séparent, bien qu'elle se sache incapable de les franchir; et ce maigre réconfort est sur le point de lui être ôté. Mais c'est justement à ce moment-là, alors que tout semble perdu, que Léonore découvre l'essentiel: l'amour, l'espoir en l'amour, l'amour qui à lui seul donne des raisons de croire en la vie, même au cœur de la plus profonde solitude, quand tout paraît prouver (à tort!...) qu'il n'y a plus rien d'autre à attendre que la mort. J'écoute souvent cet air dans mes moments de tristesse, pour me rappeler que les plus belles raisons d'espérer et d'aimer ne doivent pas venir du dehors: c'est au fond de soi qu'il faut aller les chercher. J'aimerais ne jamais oublier cette importante leçon.