jeudi 30 août 2007

Bling-bling

D'après certains éditorialistes, qui n'ont pas forcément tort, le Second Empire serait de retour depuis le 6 mai. C'est une bonne raison d'écouter un peu Offenbach, et notamment La Vie parisienne, qui date de 1866 mais où se trouvent quelques couplets prémonitoires, par exemple l'"Air du Brésilien" rendu célèbre par Dario Moreno. Heureuse, innocente époque que celle où les nouveaux riches se contentaient du bal d'Asnières, et où ils se juraient d'en "prendre pour leur argent" et non pour celui des autres...

(L'introduction de la vidéo est de Magali Noël, égérie de Boris Vian et de Federico Fellini.)


jeudi 23 août 2007

Les profiteroles de Wittgenstein


Tout le monde se souvient de l'(exaspérante?/attendrissante?) "scène de la biscotte" rendue célèbre par feu Michel Serrault. Tout gay que je suis, je ne m'y suis pour ma part jamais reconnu, pas plus du reste que l'hétérosexuel moyen ne se reconnaît sans doute dans les comédies de boulevard où les maris jaloux traquent les amants cachés dans le placard et où les épouses infidèles, mais in fine repentantes, arborent depuis 1971 les mêmes coiffures choucroutées à la Claude Pompidou. En revanche, j'ai eu cet été l'impression déconcertante de retrouver un moment de ma vie familiale transposé sur la scène d'un théâtre. Ce petit chef-d'œuvre de méchanceté caustique s'intitule en allemand Ritter, Dene, Voss, du nom des trois acteurs pour qui Thomas Bernhard l'a conçu en 1986 (la version française, Déjeuner chez Wittgenstein, a connu un grand succès en 2004 au Théâtre de l'Athénée). Deux actrices issues de la haute bourgeoisie viennoise ont décidé d'accueillir dans la maison familiale leur frère Ludwig, célèbre philosophe jusque-là interné au Steinhof, la clinique du docteur Frege. Atteinte d'une névrose ménagère au stade terminal, Dene, l'aînée, se dévoue corps et âme à ce frère qu'elle ne comprend pas mais auquel elle voue une passion possessive, en dépit des remarques sarcastiques que ne cesse de lui lancer la cadette, Ritter, surtout préoccupée de boire en cachette. Arrive Ludwig, qui, comprend-on bien vite, n'a nullement l'intention de se laisser emprisonner longtemps dans ce palais encombré de bibelots dépareillés et de mauvais portraits de famille, parmi les pendules de style Biedermeier et les napperons brodés par la grand-mère pendant ses villégiatures à Sils Maria. Est-il si fou, ce frère qui seul semble avoir une juste idée de la médiocrité environnante? Et n'est-il pas en définitive plus sain d'esprit que ses détraquées de sœurs, manifestement incapables du moindre geste vraiment créatif? A moins qu'il ne soit qu'un vieil enfant aigri qui dissimule à force de diatribes son propre vide intérieur. Le déjeuner suit son cours, les sauces succèdent aux soupes et l'écœurement gagne peu à peu, jusqu'au moment où Dene revient de la cuisine avec un plat de profiteroles préparées tout exprès pour Ludwig dont c'est, dit-elle, le dessert préféré. Les cinq minutes qui suivent sont un morceau d'anthologie. Manger ces profiteroles, demande Ludwig, se laisser gaver, sous prétexte d'amour fraternel, jusqu'à l'extinction définitive de tout sentiment et de toute pensée, se soumettre au chantage familial et accepter de renoncer à toute autonomie et à tout désir pour complaire à l'égoïsme de parfaits étrangers avec qui l'on se trouve, par hasard, partager les mêmes ancêtres? La "scène des profiteroles" m'a rappelé bien des repas de Noël, parce qu'il m'est arrivé souvent de penser toutes ces choses sans les dire, mais aussi parce que ce ton pontifiant, cette outrance par laquelle la "juste colère" verse dans le grotesque, me sont ô combien familiers, et qu'il m'en reste maints souvenirs cuisants. Il fallait le génie comique de Thomas Bernhard pour faire surgir de tout cela l'éclat de rire libérateur dont j'ai tant besoin ces temps-ci.

vendredi 10 août 2007

Mare nostrum


L'aveu est un peu singulier: moi qui ai grandi dans les pays du Nord, et dont les ancêtres se partagent entre la campagne du Maine et les rivages de la mer Baltique, je n'aime rien tant que la Méditerranée. Peut-être parce qu'elle a pour moi le charme de l'inconnu: exception faite de quelques brefs séjours en Italie ou sur la Côte d'Azur pendant mon enfance et mon adolescence, je ne l'ai pour ainsi dire jamais vue jusqu'au jour de juillet 2006 où PP, mon amoureux italien d'alors, m'a emmené en vacances à Ibiza. Mauvais choix, m'a-t-on dit depuis: quelle idée d'aller passer son été sur une plage envahie de clubbers, dans un des hauts lieux du tourisme de masse? Et de fait ce séjour ne m'a pas porté chance, puisque c'est là que s'est douloureusement achevée cette histoire d'amour dont j'espérais tout. Mais malgré cela, et quoi qu'en disent tous les rabat-joie de la terre, je garde des Baléares un souvenir ébloui: j'y ai perdu PP, mais il m'a donné l'Espagne en guise de cadeau d'adieu, l'Espagne et la langue espagnole que j'ai décidé d'apprendre, et aussi cette mer sans pareille que j'ai découverte de la plus belle manière, au crépuscule, sur la Playa d'en Bossa, au cours d'une baignade où tout se mêlait, la douceur de l'eau, l'éclat du soleil couchant et les échos de l'ambient en provenance du bar de la plage.

Il y a loin, sans doute, de ce raffinement d'esthète aux ambiances populaires du Panier ou du Vieux-Port de Marseille où je viens de passer quelques jours. Pourtant, j'y ai retrouvé l'essentiel de ce qui fait pour moi la Méditerranée: l'amour de la sensation savourée pour elle-même, le rythme nonchalant de cette mer sans marées, et la simplicité d'un mode de vie que la chaleur et le soleil, devant qui tous sont égaux, affranchissent d'une forme de prétention bien parisienne (et c'est un Parisien qui le dit!). Par ailleurs, le mélomane que je suis ne peut pas rester insensible à l'extraordinaire expérience sonore que procure un séjour sur les rivages du Mare nostrum. Si Ibiza est l'une des capitales de la house, je me souviens surtout du frémissement constant d'une ville où toutes sortes de bruits se mêlent à toute heure, même les plus tardives: et je repense à une nuit d'insomnie, PP allongé, un peu souffrant, sur le canapé du salon, et moi cherchant à le réconforter, saisi presque à contrecœur par cette extraordinaire musique... Marseille n'est pas l'Espagne, mais bien la ville de tous les métissages, où Mozart, MTV et le raï se côtoient et se heurtent dans une joyeuse cacophonie. Il faut entendre cela pour comprendre l'art si consommé et pourtant si peu policé d'une Maria Callas, chanteuse méditerranéenne s'il en est, sa voix faite pour rivaliser avec le vacarme de la rue, sa façon de déclamer Verdi ou Cherubini comme on interpelle une voisine sur le pas de la porte, l'émotion vécue comme un état du corps plus que comme un état d'âme, l'amour pareil à la soif ou à la brûlure d'un coup de soleil. Et c'est aussi cela que j'apprends depuis peu: à reconnaître dans la musique cette Méditerranée imaginaire, à retrouver à l'écoute d'un disque les sensations particulières dont s'accompagne une promenade sur le rivage, à l'heure où la chaleur doucement s'estompe et où la vie, à grand bruit, reprend son cours.