lundi 29 octobre 2007

Le café des jours heureux


Il existe à Bordeaux, où je viens de passer quelques jours, un merveilleux endroit nommé Le Café des jours heureux. Je lui dois un hommage d'autant plus chaleureux que j'ai commencé par me montrer injuste à son égard. "Joli nom... mais ce lieu n'est pas pour moi. J'irai quand je serai heureux": telle est la triste pensée qui m'est venue quand j'ai découvert son existence. Triste pensée, car le bonheur, passé ou à venir, mérite mieux que le dépit de ceux qui, à tort ou à raison, s'en croient privés. La possibilité du bonheur, à défaut de sa réalité, mérite bien que l'on boive un verre en son honneur; d'autant qu'il ne fait jamais vraiment défaut, pour peu que l'on sache le débusquer dans les mille et un petits riens où il a coutume de se nicher: un rayon de soleil, une note de musique, le parfum si particulier d'une belle journée d'automne sur les berges de la Gironde, à quelques pas du Grand-Théâtre. Et du reste je m'en suis aperçu le jour même, quand, de retour à mon hôtel, j'ai pu suivre à la télévision de longs moments d'une représentation de Manon de Massenet, avec Natalie Dessay et Rolando Villazón. Le hasard a voulu que je tombe d'abord sur le fameux songe de Des Grieux:

En fermant les yeux, je vois
Là-bas... une humble retraite,
Une maisonnette
Toute blanche au fond des bois!

Sous ses tranquilles ombrages

Les clairs et joyeux ruisseaux,
Où se mirent les feuillages,

Chantent avec les oiseaux!

C'est le paradis!... Oh non!

Tout est là triste et morose,

Car il y manque une chose,

Il y faut encore Manon!


La nostalgie douce-amère d'un paradis entrevu peut suffire à ma joie de mélomane, ne serait-ce que parce qu'elle révèle la valeur des sentiments qui ne passent pas: car alors que P. s'en est allé pour de bon, P. dont j'étais pourtant amoureux, c'est d'abord à PP, mon bel Italien, que je pense ces jours-ci. Plus d'un an s'est écoulé depuis notre rupture, et j'ai entre-temps renoncé, j'ai appris à ne plus désirer l'impossible; mais l'amour que j'avais pour lui demeure, inutile, modeste, résigné et donc indestructible, puisqu'aucune déception ne pourra plus lui porter atteinte. (Question cruelle: me souviendrai-je ainsi de P. dans un an?...) Je ne crois pas qu'il faille regretter d'aimer quelqu'un de cette manière: il y a là, comme en musique, une forme de justesse qui n'est pas étrangère à ce que l'on appelle le bonheur, même au plus fort de la solitude. Et quant à l'avenir, je verrai bien ce qu'il me réserve...

Un mot sur la vidéo: c'est le ténor, Villazón, qui chante l'admirable mélodie de Massenet; mais la vérité scénique de cet échange bouleversant est tout entière chez Dessay: elle a les gestes de PP.


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