lundi 22 octobre 2007

Elle est morte. Adieu, Perdican.


"Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu'on te fera de ces récits hideux qui t'ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire: Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit: J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui."

Quand j'étais lycéen, je m'en souviens fort bien, je trouvais cette tirade de Musset de très mauvais goût: pensez donc, des phoques informes! des montagnes de fange! une chose sainte et sublime! Il y avait bien là de quoi amuser un blanc-bec de seize ans à l'esprit porté sur le sarcasme. Et du reste j'avais parfaitement raison: tout cela est en effet très ronflant; quoi qu'il en dise, ce monsieur Perdican n'a pas de leçons de modestie à donner, lui dont la rhétorique ne s'embarrasse d'aucune pudeur. (Que d'adjectifs...) A moins que précisément il n'y ait lieu de s'interroger sur la curieuse tournure d'un discours qui, à force de détours artificieux (c'est le cas de le dire), finit presque par manquer son objet. Notre donneur de bons conseils s'efface derrière un "tu" qui cède la place à "on", puis ce "on" sans visage prend la parole pour dire "je" et se laisser aller à une déclaration d'amour. D'un amour, qui plus est, exprimé au passé composé, sur le bord de la tombe, alors qu'il est déjà (presque) trop tard. Aveu ou désaveu? On en oublierait vite, à l'entendre parler ainsi, que Perdican aime Camille, et d'ailleurs lui-même semble tout prêt à faire comme s'il n'en était rien. A l'union sublime et tapageuse, s'oppose ainsi le soupir discret de la désunion; au carillon des noces annoncées mais jamais célébrées, le silence d'un cœur trop fier, décidé à tenir pour déjà passée une liaison qui au contraire ne demande qu'à débuter pour de bon. Pourtant, s'il est exact que la force d'un amour ne se mesure qu'après-coup, à l'aune des souvenirs qu'il laissera un jour, c'est donc que Perdican aime, lui qui déjà regarde en arrière, et invite Camille à le faire avec lui; le reste n'est que fiction rhétorique née de l'orgueil et de l'ennui. Le drame n'est donc pas qu'il s'écoute parler, comme je le pensais autrefois; c'est qu'il ne s'entend pas, et qu'à force de bavardages, il en oublie que la vérité, sa vérité, tient tout entière dans ce qui n'est pas dit.

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