vendredi 10 août 2007

Mare nostrum


L'aveu est un peu singulier: moi qui ai grandi dans les pays du Nord, et dont les ancêtres se partagent entre la campagne du Maine et les rivages de la mer Baltique, je n'aime rien tant que la Méditerranée. Peut-être parce qu'elle a pour moi le charme de l'inconnu: exception faite de quelques brefs séjours en Italie ou sur la Côte d'Azur pendant mon enfance et mon adolescence, je ne l'ai pour ainsi dire jamais vue jusqu'au jour de juillet 2006 où PP, mon amoureux italien d'alors, m'a emmené en vacances à Ibiza. Mauvais choix, m'a-t-on dit depuis: quelle idée d'aller passer son été sur une plage envahie de clubbers, dans un des hauts lieux du tourisme de masse? Et de fait ce séjour ne m'a pas porté chance, puisque c'est là que s'est douloureusement achevée cette histoire d'amour dont j'espérais tout. Mais malgré cela, et quoi qu'en disent tous les rabat-joie de la terre, je garde des Baléares un souvenir ébloui: j'y ai perdu PP, mais il m'a donné l'Espagne en guise de cadeau d'adieu, l'Espagne et la langue espagnole que j'ai décidé d'apprendre, et aussi cette mer sans pareille que j'ai découverte de la plus belle manière, au crépuscule, sur la Playa d'en Bossa, au cours d'une baignade où tout se mêlait, la douceur de l'eau, l'éclat du soleil couchant et les échos de l'ambient en provenance du bar de la plage.

Il y a loin, sans doute, de ce raffinement d'esthète aux ambiances populaires du Panier ou du Vieux-Port de Marseille où je viens de passer quelques jours. Pourtant, j'y ai retrouvé l'essentiel de ce qui fait pour moi la Méditerranée: l'amour de la sensation savourée pour elle-même, le rythme nonchalant de cette mer sans marées, et la simplicité d'un mode de vie que la chaleur et le soleil, devant qui tous sont égaux, affranchissent d'une forme de prétention bien parisienne (et c'est un Parisien qui le dit!). Par ailleurs, le mélomane que je suis ne peut pas rester insensible à l'extraordinaire expérience sonore que procure un séjour sur les rivages du Mare nostrum. Si Ibiza est l'une des capitales de la house, je me souviens surtout du frémissement constant d'une ville où toutes sortes de bruits se mêlent à toute heure, même les plus tardives: et je repense à une nuit d'insomnie, PP allongé, un peu souffrant, sur le canapé du salon, et moi cherchant à le réconforter, saisi presque à contrecœur par cette extraordinaire musique... Marseille n'est pas l'Espagne, mais bien la ville de tous les métissages, où Mozart, MTV et le raï se côtoient et se heurtent dans une joyeuse cacophonie. Il faut entendre cela pour comprendre l'art si consommé et pourtant si peu policé d'une Maria Callas, chanteuse méditerranéenne s'il en est, sa voix faite pour rivaliser avec le vacarme de la rue, sa façon de déclamer Verdi ou Cherubini comme on interpelle une voisine sur le pas de la porte, l'émotion vécue comme un état du corps plus que comme un état d'âme, l'amour pareil à la soif ou à la brûlure d'un coup de soleil. Et c'est aussi cela que j'apprends depuis peu: à reconnaître dans la musique cette Méditerranée imaginaire, à retrouver à l'écoute d'un disque les sensations particulières dont s'accompagne une promenade sur le rivage, à l'heure où la chaleur doucement s'estompe et où la vie, à grand bruit, reprend son cours.

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