lundi 7 avril 2008
Le 9 avril 1860...
...Napoléon III règne sur l'Empire français, que viennent de rejoindre la Savoie et Nice aux termes du traité de Turin tout juste conclu avec le Royaume de Piémont-Sardaigne. L'unité italienne est en marche: Giuseppe Garibaldi réunit des troupes en vue de l'Expédition des Mille, qui partira de Gênes le 6 mai afin de ravir le Royaume des Deux-Siciles aux Bourbon et de le placer sous l'autorité de Victor-Emmanuel II. Alors que le Japon a décidé, non sans réticences, d'accueillir des diplomates occidentaux et d'entretenir des relations commerciales avec l'Europe et les Etats-Unis, la Chine résiste encore, jalouse de son indépendance; elle sera bientôt contrainte de changer d'avis, après l'expédition franco-britannique lancée le 19 août, et surtout après le sac du Palais d'Eté, incendié le 18 octobre en représailles contre les atrocités commises à l'encontre de prisonniers occidentaux. Aux Etats-Unis, le débat fait rage à propos de l'esclavage; Abraham Lincoln, le candidat républicain à la présidence, sera élu le 6 novembre après avoir fait campagne pour son abolition et en faveur du maintien de l'Union, provoquant la sécession de la Caroline du Sud qui ne peut accepter un président anti-esclavagiste (24 décembre). Charles Baudelaire publie Les Paradis artificiels, George Eliot The Mill on the Floss, et Nathaniel Hawthorne The Marble Faun, son dernier roman achevé; Giuseppe Verdi, dont le plus récent opéra, Un Ballo in maschera, date de 1859, s'apprête à composer La Forza del destino (donnée à Saint-Pétersbourg en 1862), Hector Berlioz espère en vain faire représenter Les Troyens à l'Opéra, et Richard Wagner, de passage à Paris où il prépare une nouvelle version de Tannhäuser sur le conseil mal avisé de la Princesse de Metternich, rencontre Rossini dans son appartement de la Chaussée-d'Antin. Idole incontestée du public lyrique, Meyerbeer n'a rien livré depuis Le Pardon de Ploërmel (Dinorah dans la version italienne), créé en 1859; son ultime opéra, L'Africaine, ne verra le jour qu'à titre posthume, en 1865. Toujours au printemps de 1860, naissent Anton Chekhov, Hugo Wolf, Theodor Herzl et Isaac Albéniz, aïeul de notre Cécilia nationale. Quant au photographe Félix Nadar, il immortalise le ravissant visage d'une inconnue de seize ans, Marie Henriette Bernardt, promise à une gloire planétaire sous le nom de Sarah Bernhardt.
Pendant ce temps, un obscur inventeur, Edouard-Léon Scott de Martinville, enregistre la voix d'une femme sur son phonautographe, un appareil destiné à visualiser les sons sur du papier noirci par la fumée d'une lampe à huile. Martinville ne dispose pas des moyens nécessaires pour écouter l'enregistrement ainsi réalisé; et du reste tel n'est pas son propos: il souhaite avant tout préserver une trace visuelle des phénomènes sonores afin d'étudier leurs propriétés acoustiques, et non de les reproduire (Thomas Alva Edison sera le premier à y parvenir en 1877). Mais ce que les techniques disponibles au milieu du dix-neuvième siècle ne permettaient pas, l'informatique moderne l'a réalisé, et il est désormais possible, grâce à First Sounds, un groupe de chercheurs américains, d'entendre Au Clair de la lune tel qu'il fut chanté il y a presque exactement cent quarante-huit ans par une jeune femme non identifiée, peut-être la propre fille de Martinville, prétendent certaines sources Internet. Il s'agit du premier son reconnaissable jamais enregistré, et je ne peux l'écouter sans me sentir plongé dans des abîmes de perplexité, sans rêver à ce qu'était cet autre monde, à la fois si lointain et si proche, dont l'incroyable écho vient tout juste de nous parvenir. Emouvante coïncidence pour l'amateur d'opéra que je suis: il s'agit d'une voix, d'un chant, resurgi du silence en ce début de vingt-et-unième siècle après tant d'années de bruit et de fureur...
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